
Le Conseil constitutionnel a censuré l’une des dispositions de la loi qui autorisait les clauses de désignation en complémentaire santé et prévoyance. Les Sages ont jugé que cette disposition portait atteinte à « la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle ». Elle permettait aux partenaires sociaux d’imposer un assureur et un contrat pré-négocié aux entreprises relevant d’un secteur d’activité. En outre les clauses de désignation sont accusées de créer une distorsion de concurrence, puisqu’elles profitent dans plus de 90% des cas aux institutions de prévoyance. Le gouvernement planche actuellement sur le dossier pour mettre la loi en conformité, en jouant la carte du compromis.
Le projet de loi de sécurisation de l’emploi
Dans le cadre de l’accord national interprofessionnel (ANI) signé par les partenaires sociaux le 11 janvier 2013 sur la sécurisation de l’emploi, les partenaires sociaux ont décidé que d’ici le 1er janvier 2016, tous les salariés seraient couverts par un régime de frais de soins via leur activité professionnelle. Ces « clauses de désignation » permettent à une branche professionnelle d’obliger les entreprises appartenant à cette branche d’adhérer à l’un des organismes assureurs retenus par les partenaires sociaux lors de la négociation. Par conséquent, l’employeur n’a pas la liberté de choisir l’organisme auprès duquel il adhère.
Cette généralisation devrait donc se traduire par un transfert de cotisations de l’assurance individuelle au profit de la collective. Un vrai bouleversement dans le marché si l’on s’en tient au chiffrage de la mesure par le Medef – 3 Md€, y compris le cofinancement salariés, soit environ 10% du chiffre d’affaires annuel de la santé.
« Une avancée majeure » selon Michel Sapin, ministre du Travail et de l’Emploi
Aujourd’hui, près d’un quart des salariés déclarent ne pas avoir accès à une couverture collective proposée au niveau de la branche ou de l’entreprise, cofinancée par leur employeur. Parmi eux, majoritairement des salariés à bas revenus, des salariés de petites entreprises ou encore des salariés à temps partiel. Avec l’accord du 11 janvier, et à l’issue des négociations, tous bénéficieront d’une couverture avec des garanties couvrant les soins essentiels. Selon Michel Sapin, c’est une avancée majeure qui profitera directement aux 4 millions de salariés non couverts par une complémentaire collective et aux 400 000 salariés n’ayant aucune couverture complémentaire.
92 sénateurs du groupe UMP ont saisi le Conseil constitutionnel
Cependant à la suite de l’adoption définitive du projet de loi le mardi 14 mai, 92 sénateurs du groupe UMP ont saisi le Conseil constitutionnel sur une partie des dispositions de l’article 1, estimant que le recours à ces clauses de désignation allait à l’encontre de l’accord national interprofessionnel. Les sénateurs considèrent que ces clauses de désignation sont « contraires à trois grands principes de notre Constitution : la liberté d’entreprendre, le principe d’égalité et la liberté contractuelle ». Selon eux, « la mutuelle pour tous ne doit pas se faire au détriment de la liberté de chacun ».
Le Conseil constitutionnel a censuré les « clauses de désignation »
Le Conseil constitutionnel légitime la volonté d’assurer une mutualisation des risques au niveau des branches, dans un but « d’intérêt général ». Il a néanmoins censuré les clauses de désignation dans leur version actuelle car elles conduisaient à ce que « toutes les entreprises qui appartiennent à une même branche professionnelle peuvent se voir imposer non seulement le prix et les modalités de la protection complémentaire mais également le choix de l’organisme de prévoyance chargé d’assurer cette protection ».
La déclaration d’inconstitutionnalité n’est cependant pas applicable aux contrats en cours
Les conséquences d’une telle déclaration d’inconstitutionnalité sur les effets dans le passé sont encore incertaines dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. C’est sans doute la raison pour laquelle le Conseil a expressément précisé que sa déclaration d’inconstitutionnalité «n’est toutefois pas applicable aux contrats pris sur ce fondement, en cours lors de cette publication ». Le Conseil précise cependant que ces contrats seront soumis aux effets de cette décision dès lors qu’ils arriveront à leur terme « normal ». Compte tenu de la variété des pratiques en la matière (contrats d’une durée de cinq ans, contrat d’une durée annuelle avec tacite reconduction), il conviendra d’examiner au cas par cas la rédaction de chaque contrat pour déterminer à quelle date les dispositions déclarées inconstitutionnelles ne lui seront plus applicables.
Les clauses de désignation profitent dans plus de 90% des cas aux institutions de prévoyance.
Les clauses de désignation créent une distorsion de concurrence, puisqu’elles profitent dans plus de 90% des cas aux institutions de prévoyance. Leurs concurrents redoutent que ces championnes du collectif raflent la mise d’un accord rédigé par les partenaires sociaux, ceux-là même qui sont chargés de leur gestion.
En effet les institutions de prévoyance sont gérées de manière paritaire par des syndicats de salariés et d’employeurs. Or, ce sont également des syndicats de salariés et d’employeurs qui établissent par voie d’accord collectif le choix d’un partenaire imposé dans le cadre de la signature d’un accord de protection complémentaire d’entreprise. Considérant que ce mode de désignation favorisait fortement les institutions de prévoyance, les groupes d’assurance ont agit en justice pour contester cette double casquette des organisations syndicales : juges et parties.
Cet accord va accroître les inégalités entre les salariés et les autres catégories de Français
Cet accord risque de créer un clivage, une fracture sociale entre les salariés et les autres catégories de Français : étudiants, chômeurs et retraités qui eux, ne bénéficieront pas d’une complémentaire santé obligatoire. Or il s’agit des Français qui en ont le plus besoin. Pour les Mutuelles de France, « l’amélioration de la protection sociale des salariés ne peut pas se faire au détriment de la solidarité nationale et du reste de la population ».
De plus, les contrats de complémentaire santé passés entre les employeurs et les salariés, actuellement en vigueur, bénéficient d’exonérations sociales et fiscales importantes. Il semble évident que les nouveaux contrats qui vont être souscrits dans le cadre de l’ANI seront soumis aux mêmes avantages. Or ces avantages fiscaux et sociaux, ce sont tous les Français, chômeurs et retraités compris, qui les payent. Ce système de la double peine est donc profondément inéquitable pour ceux qui non seulement ne bénéficient pas d’une aide à leur complémentaire santé mais en plus participent au financement de celle des salariés.
Il n’est pas non plus à exclure la possibilité que la complémentaire santé obligatoire encourage un désengagement de la Sécurité sociale de base, en particulier pour les soins courants. Une évolution qui accroîtrait encore les difficultés des Français les moins bien couverts.
L’inquiétude des professionnels de l’assurance
Salariés et employeurs du courtage, représentants de petites mutuelles et agents généraux ont à nouveau dénoncé une atteinte à la libre concurrence des organismes assureurs, et la suppression de 30 000 emplois du fait de ces fameuses clauses qui devraient profiter uniquement aux institutions de prévoyance. « Il ne faudrait pas que les mutuelles ne se retrouvent qu’avec les jeunes qui ne travaillent pas encore, les chômeurs et les retraités, voire cantonnées à un rôle de gestionnaire pour compte », estime Christian Germain, directeur général de CCMO mutuelle.
De leur côté, les acteurs présents dans les deux segments se montrent plus sereins et partagent l’objectif énoncé par Stéphane Lecoq de la Mutuelle générale : « Nous pouvons espérer récupérer d’un côté ce que nous perdrons de l’autre ».
Un revers pour le ministère du travail, qui doit remanier son texte
La ministre de la Santé et des Affaires sociales, Marisol Touraine, a indiqué que le gouvernement allait mettre la loi en conformité avec le Conseil constitutionnel mais ferait en sorte que le principe des clauses de désignation soit toujours utilisable d’une manière ou d’une autre. “Nous allons réécrire l’article pour qu’il soit conforme à la décision du Conseil constitutionnel, mais le sens ne changera pas“, a-t-elle indiqué.
Nouvel amendement déposé le mardi 22 octobre
Le gouvernement a déposé mardi 22 octobre un amendement selon lequel le mécanisme de la « clause de désignation » est remplacé par une clause de « recommandation » assorti d’incitations financières.
Ce nouvel amendement « permet aux branches professionnelles de recommander un organisme assureur aux entreprises de la branche lorsque ce dernier offre des garanties de solidarité » (tarif unique pour toutes les entreprises de la branche, prestations de solidarité).
Afin de favoriser le recours des entreprises d’une même branche à l’organisme recommandé, « un dispositif de modulation du forfait social sera mis en place ». Concrètement, le forfait social – taxe sur les sommes versées au titre de l’intéressement et de l’épargne salariale – passerait de 8% à 20% pour les entreprises refusant d’opter pour l’organisme recommandé par sa branche, a précisé le ministère de la Santé à l’AFP. Les entreprises de moins de dix salariés, qui en sont exonérées, y seraient assujetties à hauteur de 8% si elles ne choisissaient pas l’organisme recommandé.
Ce nouveau dispositif sera-t-il également censuré par le Conseil Constitutionnel ? Affaire à suivre…
Sources : Les Echos, L’Argus de l’assurance
Bjr, Je rebondis sur la mutuelle obligatoire d’entreprise. Un couple qui travaille a deux à obligatoirement 2 mutuelles, hors bien souvent on ne se sert que d une mutuelle. Nous sommes doublement pénalisé, d une part puisque tout les mois on verse une somme d argent a fonds perdu et la deuxième on va être imposable sur les parts patronales. je trouve cela scandaleux.